Alentours d'Huster

"Oh putain... Je sais pas ce que tu prépares, mais toi..."

Le pirate se dirige vers la salle de contrôle.

Ban met de longues minutes à trouver et rejoindre la salle vidéo. Devant la porte, un homme ligoté et bâillonné se tortille sous l'écriteau bariolé qui indique "Frapper avant d'entrer". Pourtant, avant que le pirate ne considère sérieusement la question, ladite porte s'ouvre brusquement sur le visage de Naciel, qui a oublié de se nourrir proprement et affiche un joyeux sourire ensanglanté avant de reculer.

"Désolé, je t'ai pas attendu, c'était trop tentant."

Derrière lui, les deux femmes que Ban avait assommé en cherchant le cockpit ont été démembrées, sans doute pour les empêcher de fuir. et égorgées sans la moindre subtilité.
Le sang est partout, dégageant un odeur âcre: au sol, sur les murs, sur les écrans de surveillance...Les mains, les avant-bras et la gorge de Naciel en sont totalement recouverts, et le reyo semble parfaitement heureux et serein. Une drôle d'étincelle brille au fond de ses yeux rouges, un genre de folie désespérée qui contraste avec son sourire radieux et ses traits détendus. Il penche la tête sur le côté, prenant un air désolé:

"T'es encore fâché? On pourrait faire la paix pourtant!"

Le carnage n'émeut pas Ban, qui soupire.

Le gâchis, par contre, l'énerve.

"Fâché ? Epargner quelqu'un est donner à un autre le destin de le tuer. Cette personne a été toi. C'est une conséquence directe de mes actes. Je n'ai aucune raison d'être fâché. Si je ne voulais pas que ça arrive, j'aurai dû les tuer, ou tuer toute autre personne sur ce vaisseau. Qu'elles soient mortes de mort violente, qu'elles aient souffert, que leurs corps aient été utilisés pour une mise en scène macabre... Bah. Mourir, n'est jamais que mourir. Toutes ces distinctions sur le respect des morts n'est qu'un tissu de conneries. Mais est-ce que j'apprécie pour autant ce que tu as fait ? Non. Par tes actions ce seront deux femmes qui ne m'appartiendront jamais. Et ça, ça me fait chier. Alors, ton équipage n'a aucune valeur pour toi, je l'ai compris, tu peux arrêter tout ce cirque. A quoi tu veux en venir avec tout ce bordel ?"

Naciel ne semble pas comprendre la question. Il fixe Ban d'un regard à la fois surpris et interrogateur, puis répond:

"Mais...A rien!"

Il se gratte l'arrière de la tête, observant son petit massacre d'un air circonspect.

"Ca faisait des semaines que je m'ennuyais à bord de ce stupide engin, avec cet poignée de débiles! Tu débarques, avec ton oeil jaune et ta femelle plus que bizarre et tu me fais tout un cinéma...Je me suis dit que j'avais peut-être trouvé la bonne personne pour m'amuser un peu! Mais en fin de compte, t'es vraiment trop sérieux! "

Il jette un oeil agacé au pirate, puis pousse un bras du bout du pied, et se tourne vers les écrans de surveillance..

"Enfin bon, tant pis! Au moins, j'ai comblé mon appétit! Je crevais la dalle depuis quelques jours, vu qu'on n'avait pas fait d'escale depuis notre départ d'Hoshidran...Et comme je suis un gros mangeur..."

Puis le reyo refait face à Ban, croisant les bras dans le même temps. Il a perdu son sourire et affiche une mine déçue.

"Alors maintenant on fait quoi? Ca me fout en boule d'être le seul à me marrer! Donc si tu comptais me tuer, vas-y! Si tu voulais me faire souffrir, je t'en prie, ne te gêne pas! Mais ne repars pas d'ici en disant que tu t'es fait chier du début à la fin!"

Il semble presque en colère. Essuyant son menton d'un revers de la main rageur, il pousse un soupir agacé.

"Le pire là-dedans, c'est que je sais toujours pas pourquoi tu es venu à bord de mon vaisseau!"

Waiting for it!

"Parce que je..."

Le pirate s'apprête à répondre, un rien exaspéré, mais se retient.

"Non, si je te réponds tout connement comme ça, ça va faire trop sérieux. Ce serait con. Alors on va faire dans le fendard. Dans le métaphorique. Imagine que tu aies besoin d'un toît au dessus de ta tête, comment tu fais ? Imaginons que tu aies besoin de manger, comment tu fais ? Imaginons, enfin, que tu aies envie de partir d'un coin paumé, comment tu fais ? Ah, tu as l'embarras du choix, niveau solutions, non ? Bon. Maintenant, on change un peu l'énoncé du problème. Comme avant, sauf que tu as un M1911A chargé. Et là, flinguer un connard devient LA solution à tous tes problèmes."

Le pirate fait quelques moulinets de son arme.

"Quand on a un marteau, tout commence à ressembler à des clous. Métaphoriquement, hein. Et moi je suis un pirate. Alors ma solution à tous mes problèmes c'est de trouver un vaisseau, l'aborder, et le piller. Là, le problème c'était que je voulais me rendre à Huster sans déclencher l'alerte niveau pigeon. Mais je te rassure : J'aurais été en rade de clopes, ou je me serais levé du pied gauche, j'aurais fait pareil."

Ban soupire en finissant sa dernière phrase.

"Je t'avoue que je pensais plus m'amuser que ça..."

"Pfff...Dommage..."

Naciel semble véritablement désolé. Après un silence empreint de réflexion -si l'on en juge son regard fixé sur le vide-, il reprend.

"Tant pis...Mais bon, pas grave! -Son visage se fend d'un large sourire.- L'essentiel, c'est que, moi, je me suis éclaté! Promis, la prochaine fois, je te laisserai les gros morceaux! Pas les meilleurs, hein! Le meilleur, c'est moi! Mais les plus consistants! Eh mais attends, maintenant que j'y pense...Je t'ai laissé le meilleur morceau et tu...Par tous les Univers, tu es un...herbivore...?"

Le mot est prononcé dans un murmure légèrement dégoûté et le reyo grimace douloureusement. Alors qu'il avait l'air sensé avant sa tuerie, il paraît avoir quelque peu perdu le fil. Peut-être le sang lui est-il monté à la tête.

"Mon pauvre vieux, la vie est pas tendre avec toi, hein? Tu veux...Boire quelque chose? Un verre...euh...d'eau, peut-être? Et au fait, c'est quoi ton nom déjà? J'arrive pas à me souvenir si tu me l'as dit...C'est bizarre..."

Le pirate hausse les épaules.

"Dis-toi que je réagis pareil quand je vois ton gâchis."

Ban craque son cou alors qu'il continue, le regard ne s'éloignant jamais trop du connard.

"T'es du genre à jeter le blanc des oeufs, non ? Le sang, la chair... Oui c'est marrant deux minutes, mais c'est pas un vrai repas tu comprends ? Ca remplit pas l'estomac. Enfin, pas le mien."

Le pirate joue son rôle, laissant apparaître malgré lui (ha !) un sourire absent sur ses lèvres, qu'il semble combattre quand il s'en rend compte, mais qui revient toujours dès qu'il détourne son attention.

"J'ai besoin de savoir, tu comprends ? Une viande savoureuse, tendre et goûteuse c'est un plaisir, bien sûr, mais ce sont les nuances qui me réjouissent. Est-ce que c'est une excellente viande de la meilleure qualité ? Est-ce que je dois savourer la rareté de ce mets ? Ou est-ce que c'est un pauvre bout de viande à moitié pourrie ? Est-ce que je dois savourer la beauté des talents du cuistot ? Je déteste le gâchis tu comprends ? Profiter d'un bon repas sans pouvoir jurer sur mes crocs que c'est le meilleur usage qu'il était possible de faire de cette viande... Ca m'énerve, tu comprends ? J'ai besoin de connaître ce que je mange sur le bout des doigts, j'ai besoin de me délecter des nuances du goût de chaque morceau, j'ai besoin de pouvoir dire pourquoi ça a tel goût plutôt que tel autre. Sinon, comment pourrais-je savoir que je déguste le meilleur repas possible avec ces matières premières, hein ?"

Ban passe une langue vivace sur ses lèvres.

"Herbivore ? Non, un intellectuel, plutôt. J'aime me nourrir pas de chair, mais d'âmes. J'aime sentir les sentiments de mes victimes, j'aime les dévorer jour après jour, bout après bout. J'aime voir leurs esprits se sculpter petit à petit, avec chaque bout que je leur enlève, en une oeuvre d'art. J'aime les voir devenir miennes. J'aime les voir prêtes enfin, s'offir, pour que je les dévore corps et âmes."

Le pirate pourrait presque saliver, alors qu'il a le coeur au bord des lèvres. Son propre jeu l'amène plus près de ses appétits conflictuels que ce qu'il aimerait.

Il enchaîne avec un sourire.

"Mais je mens. Je mens tu vois ? Je mens quand je dis que j'aime pas tuer, dévorer, sans faire de ma victime le meilleur mets possible. J'aime ça. J'aime tuer pour un rien. J'aime tuer parce que je peux. J'aime voir les destins se briser face aux miens. J'aime réduire autrui à l'état de caillou sur mon chemin. C'est pas un repas. C'est enivrant, comme un bon cru, un bon vin."

Le sourire du pirate s'efface doucement.

"Alors tu comprends que ce que tu as préparé me laisse de froid. Ce sont tes proies, tes plaisirs. Je n'ai aucun plaisir à gagner. Ni de leur vie, de leur désespoir. Ni de leur mort, du bris de leur destin. Je serais un carnivore que je ne dévorerais pas un seul de tes membres d'équipage. C'est ton pain, pas le mien."

Il hausse les épaules.

"Mais tout cela n'avance pas nos affaires."

"C'est bien ce que je disais: tu es un genre de bébé destructeur..."

Naciel ne se dépare pas de son sourire. Au contraire, il semble tout heureux de ce qu'il vient de conclure.

"Je serais ravi de pouvoir t'aider dans ta quête, figure-toi. J'aimerais bien voir comment tu vas t'en sortir face aux grands pontes de la destruction qui ont élu domicile dans la galaxie..."

Il croise calmement les bras. Rien ne semble pouvoir l'effrayer.

"Tu me demandais ce que j'ai à vendre en échange de ma pauvre vie? Rien, je l'avoue, si ce n'est un monceau d'informations sur l'histoire des destructeurs et des créateurs ainsi que le souvenir d'une fresque qui se trouve dans les fins fonds de la cité de mon peuple...Je ne crois pas que le peu d'âme qui me reste puisse t'intéresser mais prends _le si le coeur t'en dis, que je vois si tu es à la hauteur d'Andante ou de Carnage..."

Il sourit toujours du coin des lèvres.

"Bien que j'en doute..."

"Et tu fais bien. Si j'étais à leur hauteur nous n'aurions même pas cette petite conversation."

Ban se sort une clope.

"Très bien. Si tu tiens tant que ça à me coller aux basques, alors je ne vais pas me faire prier pour te prendre tout ce que tu as. Tes informations je les prends, ainsi que ce que j'étais venu chercher sur ton vaisseau au départ."

"Allez, j'ai suffisamment perdu de temps ici."

"Ce que tu étais venu chercher...C'était à quoi déjà?"

Il semble ennuyé pendant une fraction de seconde, mais renchérit bien vite:

"Pour les infos, il va falloir poser des questions, j'en ai un milliard en tête et je ne vais pas tout te débiter d'un coup, on y passerait la journée...Si un compagnon supplémentaire ne te dérange pas trop, je peux être celui-là! Ça te ferait un vaisseau en plus, soit doit en passant, et toutes options, avec tout son contenu par dessus le marché! Tu pourrais me poser des questions à tour de bras et trouver un télépathe capable de transférer mon souvenir de la fresque dans ton cerveau... moi je n'ai rien contre en tout cas. "

"Un moyen de me poser 'légalement' sur Huster. C'est à dire sans attirer l'attention des Horusiens. Ton vaisseau a un passeport en règle non ?"

Il tire tranquillement sur sa clope.

"Pour le reste, si tu veux faire partie de la légendaire bande de psychopathes partie pour sauver le monde, il y a deux-trois petites règles. Mes ordres font ont force de loi. Si tu es capitaine, tu comprends pourquoi. Ensuite, interdiction de blesser, au sens large, les autres membres d'équipage. Les baffes c'est mon rayon, les remises à l'ordre aussi. Donc si je te demande de faire quelque chose, tu le fais immédiatement et sans causer d'ennuis au reste du groupe, mais tu as parfaitement le droit de ronchonner, de me dire que tu n'aimes pas ça, et de demander des précisions.

"Pour tout ce que je vais te prendre, on verra ça en temps et en heure. Pour l'instant ton vaisseau a bien les droits pour se poser sur un des dômes d'Huster, non ?"

Le visage de Naciel se fend d'un frranc sourire.

"Parfaitement, captain! Sinon je n'aurais rien à faire ici! Je suis donc à vos ordres pour la suite, quel dôme souhaitez-vous explorer?"

Il tend à Ban une main qu'il s'attend sans doute à voir serrée.

"Let's go!"

Laissant Hawk et Pinko à bord du Pigeon Century, Ban, Naciel et Lorelei, fraîchement remise de ses émotions, rejoignent le dôme 54.